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Juline JOURDAIN

Rencontre #1 — Lever le silence qui pèse sur le deuil périnatal


Écrire pour déposer sa peine et faire vivre ceux qui ne sont plus là


C’est le printemps quand cette maman me contacte via les réseaux sociaux pour se présenter et m’évoquer son projet. Elle m’exprime un désir profond de poser des mots sur un drame qui a frappé leur famille. Pour se libérer et pour partager leur vécu auprès de leurs proches. Pour témoigner et aider, peut-être, d’autres familles qui traverseraient une épreuve similaire. Pour faire vivre leur fils et pour continuer d’expliquer à leurs enfants. Raconter cette histoire a tellement de sens… J’accepte, évidemment ! Et nous planifions nos rencontres pour la fin août, sur deux jours. Pendant les cinq heures d’entretien dans le calme de leur maison de campagne et la douceur de leur jardin, je les écoute, père et mère, me raconter cet épisode de vie si particulier. Chacun à leur vitesse, avec leur vécu et leur regard particulier, je les observe déposer un morceau de leur peine au milieu de la table… entre la bougie et la théière. Une peine vive et profonde qui ne disparaîtra jamais. Ils me parlent d’une cicatrice douloureuse qu’ils sont prêts à venir gratter un peu pendant ces quelques heures, parce que ce projet leur tient à cœur. 

Cette rencontre est un instant suspendu et je me sens pleine de gratitude de toute la confiance qu’ils m’accordent. La maman me prête les carnets qu’elle a écrits pour que je puisse m’inspirer et/ou intégrer des passages de ses mots et réflexions du moment dans le récit. Nous retraçons chaque minute, chaque larme, chaque question jusqu’à cette conclusion touchante, « Voilà, c’est nous ! ». Dans un grand éclat de rire (mais les yeux humides), cette maman me fait le cadeau d’un témoignage précieux, emprunt d’une sensibilité et d’une force hors du commun. Cela fera six ans dans quelques mois que leur fils est décédé, mais elle me confie pourtant « Je n’avais encore jamais raconté toute cette histoire du début à la fin, en prenant le temps ». La question du tabou et du silence autour de la mort du nourrisson est très présente dans le récit. Taire cet épisode était ce qui semblait le plus évident dans une société où le deuil périnatal est encore tabou, mais ils ont décidé de faire autrement… Hors de question de l’effacer des mémoires ! Ce livre en est une preuve. 

Interview des parents quelques semaines après les entretiens


Comment vous sentiez-vous avant le premier entretien ? Et après ?

« Avant les entretiens j’avoue avoir été un peu stressée… envahie par un mélange de plusieurs émotions. Pas simple de retourner dans des émotions si souvent enfouies et aussi puissantes… Essayer de tout raconter pour faire honneur à mon fils et retracer notre histoire du mieux possible pour transmettre, pour ancrer son/notre histoire ! Je me suis replongée dans mes écrits pour me remémorer des détails parfois effacés (volontairement ou non… terribles ou non…) et pour m’aider dans la chronologie, car tout se mélange avec le temps.
Mais j’avais confiance en Juline et en ce projet mûrement réfléchi. J’étais impatiente de pouvoir enfin tout livrer ! De créer un objet qui pourra être lu et transmis à mes enfants ou à ceux qui veulent mieux nous connaître… Les larmes sont montées avant la séance, pendant la séance, mais après… C’était un grand soulagement, un apaisement ! Le soir même j’avais la tête et le corps lourd, quelques maux de crâne, cela m’avait épuisé, mais la nuit fut bonne… et je me suis réveillée légère, contente d’avoir franchi le pas ! C’était un peu ma thérapie, ma catharsis. »

« Pour l’entretien j’étais ouvert, mais prudent, je voulais être présent pour “protéger” ma compagne, ne te connaissant pas… Il n’a pas fallu longtemps pour que tu crées un climat de confiance et après j’étais vraiment heureux de pouvoir raconter précisément cette expérience. Je ne l’avais jamais fait… »

Quelle a été la chose la plus difficile pour vous dans les entretiens ? Et la plus appréciable ? 

« La chose la plus difficile pour moi, c’était certains détails, d’entendre la version de mon compagnon… de repenser à mon père qui était présent et qui est décédé aujourd’hui… de replonger dans des émotions profondes, pas seulement émotionnelles, mais aussi physiques. Mais ta douceur était très agréable, la possibilité de prendre le temps, de se répéter “que c’est OK”… Tu nous as laissés libres de parler à notre rythme. Il y a eu beaucoup de “pauses mouchoirs”, mais on en rigolait et ça devenait un peu plus léger. Le fait de pouvoir être dans notre bulle, en face-à-face, pour ce projet un peu sensible était important pour moi. »

« L’entretien était très appréciable, les règles du jeu que tu fixes au départ aident à se sentir bien. Ta présence sincère et bienveillante. »

Pourquoi est-ce important pour vous de laisser une trace « écrite » de votre histoire ? 

« L’important de laisser une trace est très personnel. Je ne saurais pas l’expliquer, mais une fois que c’est fait cela devient évident. »

« C’était très important pour moi d’écrire notre histoire. Je suis tombée un peu par magie sur une de tes publications qui expliquait ton activité d’écriture et j’y ai vu un signe pour raconter l’histoire de notre étoile… Pour le faire vivre à travers les mots. J’y voyais l’occasion de transmettre toute l’histoire (avant, pendant, après) à nos autres enfants et à nos familles qui ne savent pas tout ou pas grand-chose… J’imaginais aussi ce récit comme un témoignage qui pourrait accompagner des personnes sur un chemin similaire au nôtre. Mais avant tout, si j’y réfléchis bien, je voulais surtout me livrer, me confier. J’avais envie de faire ce livre pour moi. Même si ça n’enlèvera pas ma douleur, je voulais pouvoir écrire ce qui est dans ma tête pour me libérer et pouvoir me dire “Voilà j’ai tout dit, c’est écrit et accessible à celui qui veut !”. J’avais cette envie de tout mettre noir sur blanc avec une belle plume et pas simplement “mes mots parlés” jetés sur le papier. Je veux un bel ouvrage pour la plus belle des étoiles ! »


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